NFTs : buzz du moment ou vecteur de croissance long terme pour les marques?

Je m’efforce finalement d’écrire un peu plus en français sur des sujets d’actualités de marques et de communication. Au cas où vous l’avez raté, cela fait déjà plusieurs mois que le sujet des NFTs bat son plein (non-fungible tokens – je ne sais pas s’il existe une traduction en français), ou bien apparemment on dit « fait le buzz » ces jours-ci aussi, comme des d’apparitions de frelons asiatiques au printemps.

Un bon nombre de grandes marques, dont Domino’s Pizza au Canada en premier lieu, McDonald’s en France plus récemment, et d’autres, se sont déjà embarqués dans cette joyeuse aventure.

Ceci dit, et juste au cas où vos radars à tendances ont été occupés ailleurs, on va peut-être démarrer avec un petit b.a-ba : qu’est-ce que c’est qu’un non-fungible token? (du coup je viens de vérifier et la traduction littérale fonctionne en français, c’est un jeton non-fongible. Mais ça nous ne dit toujours pas forcément ce que ça veut dire, en fait).

Alors déjà il faut savoir qu’on est dans le monde des cryptomonnaies et de la technologie blockchain. Je vous avoue que je ne suis pas spécialiste, je comprends les principes en gros (les spécialistes pourront me corriger), et si vous voulez avoir les bases il y a une bonne explication pour débutants du côté de chez Cryptonaute, ou sur le site du Ministère de l’Economie et des Finances (et oui, votre portefeuille Bitcoin / Crypto est imposable).

Ca peut aider, mais heureusement vous n’avez pas besoin de tout comprendre de la blockchain et pour le coup de la technologie d’Ethereum (la cryptomonnaie la plus importante après Bitcoin), pour bien saisir le concept des jetons non fongibles.

Je vais paraphraser et utiliser des analogies similaires à celles que j’ai appris de Kimberly Gideon dans Laptop Mag, Alex Herne dans The Guardian, et Rahul N sur le site BeingCrypto (tous en anglais).

Déjà le terme « fongible » : cela décrit un bien facilement et clairement échangeable par autre bien dans la même gamme de valeur et de la même catégorie. Les monnaies sont typiquement fongibles. Je peux facilement échanger un billet de €10 contre deux billets de €5, ou bien un billet de €5 contre une pièce de €2 et trois pièces de €1.

Par contre le billet utilisé pour le spectacle de la Compagnie Shakespeare Improvisée de Chicago qui j’ai au mur, qui valait $20 à la base pour assister au spectacle, et maintenant a un peu de valeur sentimentale, est difficilement fongible. D’une part il vaut techniquement pas grand chose pour quelqu’un d’autre, et si je le coupe en morceaux ça n’a pas de sens.

Pour quelqu’un disons qui hérite d’un dessin original de Claude Monet d’une valeur de €200 000. Si le dessin est en deux moitiés, elle ne valent pas automatiquement €100 000 chacune. Il est chouette ton dessin de Monet, mais il est non-fongible. Alors que moi, mes €200 000 en liquide ils sont fongibles. Bon en vrai j’ai ni l’un, ni l’autre ; et mon dépit n’est sont super fongible non plus.

Bon on a compris, et par extension sans doute aussi que le marché de l’art en particulier, fonctionne avec des biens non-fongibles. Ce sont des oeuvres originales, uniques (ou limitées), et c’est en cela au moins en partie qu’elles ont de la valeur.

La technologie de la cryptomonnaie Ethereum permet de générer une authentification numérique originale et unique, et on dit que c’est un « jeton non-fongible, » NFT pour l’acronyme en anglais, ou bien JNF, mais je crois bien que personne n’utilise cet acronyme dans la Startup Nation.

Si vous créez ou achetez un jeton non-fongible (avec de la cryptomonnaie Ethereum, donc), vous serez le bienheureux propriétaire d’une série originale, unique, et spécifique de zéros et de uns. Et tout ça est enregistré et authentifié dans la blockchain. Il y a plein de sites commerciaux (marketplaces) en train de s’établir.

De la même manière que vous pouvez voir les Meules de Monet en ligne et dans cet article gratuitement, ou peut-être acheter une copie sur une carte postale pour disons €2, ou sinon la toile originale a été vendu $110 millions il y a deux ans, en mai 2019. A noter qu’elle avait été vendue pour $2,5 millions en 1986, donc 44 fois le prix.

Les jetons non-fongibles (NFTs) c’est la même idée mais avec un fichier numérique. Vous pouvez passer des heures à admirer la splendeur de Nyan Cat gratuitement et on espère qu’avec un peu de chance, pour toujours et à jamais (n’hésitez pas à commenter votre temps record de Nyan, avec le son à fond bien sûr!). Par contre il n’y a qu’un jeton non fongible original, une image GIF, créée par Chris Torres, l’auteur de Nyan Cat. Il a été vendu pour presque $600 000.

Nyan Cat

Bon c’est très bien tout ça, mais qu’est-ce ça à voir avec mon Big Mac me direz-vous?

Et je vous répondrais que c’est une excellente question, et qu’on va enfin pouvoir plonger dans le vif du sujet.

Enfin presque, une définition commune de la manière dont les marques croissent va aussi nous être utile. Pour faire relativement simple, je vais utiliser le principe de professeur Byron Sharp de l’Institut Ehrenberg-Bass de recherche en sciences du marketing, basé en Australie ; parce qu’il est reconnu et utilisé mondialement (parmi les sponsors on trouve Nestlé, Coca-Cola Company, Danone, Mars, P&G, Linkedin, Sanofi, etc.).

Dans son fameux livre How Brands Grow, Pr. Sharp établit que les marques croissent en augmentant leur pénétration dans un marché, ce en acquérant de nouveaux acheteurs (de tous types), et grâce ce qu’il appelle la disponibilité physique (la capacité de pouvoir acheter les produits et services de la marque, dans des magasins ou sur leur site web), et la disponibilité mentale (la tendance de la marque a être remarquée ou souvenue dans les situations d’achats potentiels).

Il faudrait probablement que j’écrive tout un autre article sur le livre et son contenu à un moment donné, mais en attendant n’hésitez pas à commenter si vous avez des questions.

Pour reformuler la question du titre, voyons voir si les NFTs représentent des opportunités de générer de la disponibilité physique ou mentale pour les marques, et si oui, alors ce sont potentiellement des opportunités de croissance sur le long terme (et celles et ceux qui attendent que je mentionne l’impact environnemental des NFTs, je le ferais à la fin, mais c’est un vaste sujet qui mérite probablement au moins un autre article).

Les jetons non fongibles créent-ils de la disponibilité physique pour les marques?

D’un côté, on pourrait arguer que oui, parce que cela crée un bien non-fongible qui peut tout à fait être une expression de la marque, et qu’on peut commercialiser sur un marché. Cela génère une disponibilité sur un marché entièrement nouveau d’ailleurs.

En voyant le phénomène, Domino’s Pizza au Canada a lancé par Twitter « la première pizza non-fongible, » une image de part de pizza en art pixelisé, qui a été vendue pour l’équivalent de $8 824, ou environ 2,26 Ethereum, en mars 2021.

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D’un autre côté, les clients de Domino’s Pizza au Canada ne peuvent pas manger des jetons non-fongibles (pour le moment), ce qui est tout de même généralement le business principal de la marque Domino’s. Au Canada, Domino’s Pizza génère $25 millions en ventes, donc $8 824 c’est beaucoup, mais aussi seulement 0,035% du chiffre d’affaires. C’est peut-être un moyen de diversifier et croître, mais à voir quoi ça se discute.

D’autre part, je me suis demandé combien de personnes sont propriétaires et utilisateurs d’Ethereum et/ou de crytpomonnaies dans le monde, et c’est une question vraiment complexe, je vais laisser ce sujet de côté pour le moment.

Je vais dire qu’en général non, les NFTs ne sont pas une opportunité d’augmenter la disponibilité physique pour les marques. A moins que vous y voyiez une chance de diversifier les produits et services de votre marque, ou bien évidemment que vous vous mettiez à développer des produits et services pour le marché des NFTs.

Ce qui peut être le cas pour certains, les partenariats ont la côte par exemple : La marque FTRKT et l’artiste FEWOCiOUS, ont créée des tennis numériques en or pour le nouvel an chinois qui se sont vendues $28 000 – pas autant que les $3 millions pour leur paire précédente en NFT, mais tout de même considérable pour une paire de pompes en art numérique.

Je dirais qu’une idée potentielle long terme pourrait être d’obtenir des licences pour l’exploitation et la création de NFTs pour une marque, comme Luxoticca développe et vend les lunettes de soleil Chanel sous licence et en partenariat. Mais bon, vu que les NFTs sont non-fongibles, si j’étais une marque connue, je n’aurais probablement pas très envie de prêter la valeur de ma marque au premier venu.

Ce qui nous ramène à la notion de disponibilité mentale, qui est justement toute cette valeur de marque qui a été construite et renforcée à coup de communication, de publicités, entre autres activités.

C’est évidemment là qu’on retrouve les initiatives et campagnes de communication comme celle de Domino’s, et bien d’autres qui se sont jetés sur le buzz ambiant. Pour rappel, McDo France ont aussi créée des NFTs d’images d’art pixélisées des produits phares de la marque – donc reconnaissables, donc qui empruntent à la disponibilité mentale, et contribuent en à la renforcer aussi, une sorte de cercle idéalement vertueux.

On peut aimer ou ne pas aimer, mais le principe fonctionne et génère de la disponibilité mentale pour la marque. La presse et des publications variées relaient les infos, ce qui génère des impressions médias gratuites supplémentaires (qui n’ont pas été payées par de l’espace publicitaire sur Instagram par exemple), ça fait parler, et la marque surfe sur la vague de popularité des NFTs.

Il est important de noter que c’est grâce à la notoriété déjà existante de McDonald’s que l’activité de communication a du sens pour la croissance de marque. En revanche, si j’avais démarré mon tout nouveau business Willem’s Wow Burgers le mois dernier dans un dark kitchen et personne ne connait, les NFTs peuvent peut-être aider à me faire connaître, mais c’est un risque (investissement de temps, d’argent, etc.).

Ne serait-ce pas ce plus indiqué que je passe mon temps et mon énergie à faire connaître ma nouvelle marque sur Deliveroo et Uber Eats (disons), et dans le quartier immédiat (en faisant goûter avec un food truck, par exemple)?

Les NFTs et les cryptomonnaies représentent énormément d’inconnus, et en général plus une marque et une entreprise est grande, moins elle aime prendre des risques dans des domaines difficiles à prédire, surtout si ne sont pas des domaines où ils sont experts. En même temps c’est dans les domaines nouveaux et inconnus qu’on trouve les plus grandes opportunités de croissance, celles dans le genre exponentiel qui peuvent faire rêver.

Pour les marques opérant déjà dans le domaine de l’art ou autres marchés de biens non-fongibles, là c’est absolument fascinant, parce que c’est précisément des opportunités de disponibilité physique directement liées à leur coeur de métier.

D’ailleurs c’est exactement pour cela que Charles Stewart, PDG de Sotheby’s, a expliqué sur CNN Business le mois dernier avec l’annonce de la création d’un marché pour NFTs, et ils ont généré $17 millions de chiffre pour leur première vente aux enchères.

Je vais quand même mentionner les controverses autour des questions d’émissions et d’énergie dépensée (ou investie?), et aussi dire que c’est un sujet épineux. Pour donner une vague idée, cet article de The Independent au Royaume-Uni partage une estimation qu’un l’empreinte carbonne pour un NFT équivaudrait à un mois d’empreinte carbone d’une personne vivant dans l’Union Européenne.

Je dirais que ce qui est certain, c’est que l’empreinte carbone de Monet quand il a peint Les Meules était probablement un peu moins élevée – même en comptant le transport et les ventes depuis (quoique je ne sais pas, il faudrait estimer l’empreinte carbone d’une telle vente aux enchères, tout dépend si on y va en Vélib’ ou en jet privé).

Pour finir, tant que c’est populaire et que ça fait causer, ça peut être des opportunités de renforcer son image de marque (disponibilité mentale), et du coup rappeler aux gens de penser à acheter la marque la prochaine fois.

Cela peut aussi être une opportunité pour un consultant en stratégie de marque de finalement écrire un article en français, voire même qu’on pense à le contacter à l’avenir si du conseil en stratégie de marque peut s’avérer utile.

En attendant, je vais continuer à bosser sur mon concept pour Willem’s Wow Burgers.

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