Puzzle pour les marques partenaires des JO de Pékin

Athlète Sino-Américaine Eileen Gu et les nombreuses marques partenaires – qui a choisi de concourir pour la Chine

Au moment où j’écris cet article, il reste environ deux heures avant le début de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver de Pékin (Beijing) 2022.

Il se trouve que j’ai réappris à skier il y a seulement quelques années, l’hiver 2017, et ceux qui me connaissent savent que j’ai bien accroché. J’ai eu la chance de d’aller skier dans les Alpes du Nord la semaine dernière, et même si j’aurais bien voulu avoir un peu plus de neige fraîche, j’ai ai quand même eu un peu plus que le site des Jeux Olympiques. Vous êtes peut-être tombé sur une de ces photos :

Donc on a déjà pas mal de buzz controversé autour des jeux et du climat, je ne vais même pas passer plus de temps sur ce point, ne serait-ce que pour dire que les marques en général n’aiment pas particulièrement être mentionnées du « mauvais côté » d’une controverse, ou en tout cas préfèrent éviter.

Je mentionne les marques parce qu’évidemment c’est mon métier, et que les partenariats avec les jeux olympiques représentent d’énormes opportunités, que ce soit pour des marques directement impliquées (de mode, d’équipements et de vêtements de sports d’hiver notamment, par exemple Ralph Lauren a créée les uniformes de l’équipe USA, tandis qu’ici Le Coq Sportif qui habille l’équipe de France).

Du côté du Comité International des Jeux Olympiques, il y a treize marques qui sont partenaires officiels au niveau mondial. Ces corporations se sont engagées à verser environ $100 millions chacune pour soutenir les jeux, et avoir l’autorisation précieuse de communiquer directement avec l’aval du CIO :

La plupart de ces marques sont restées assez discrètes au point de vue média et activités marketing, du moins de ce que j’ai pu voir et lire dans la presse, que ce soit française et internationale, générale ou spécialisée.

D’habitude les JO sont une énorme opportunité pour les marques de raconter de belles histoires, pleines d’émotions, avec des thèmes faciles et fédérateurs : des histoires d’athlètes, d’efforts face à l’adversité, de l’amour universel d’une maman (P&G), d’échecs suivi de réussites, etc.

Bien évidemment les raisons pour leur discretion comparée aux JO de Pékin en 2008 abondent : l’imprévisibilité de l’organisation des jeux avec la pandémie de covid-19 ; la connaissance du traitement des populations Uyghurs dans la province du Xinjiang, ainsi que le boycott diplomatique des jeux par des pays comme les Etats-Unis (mais pas la France, enfin de ce que j’ai lu) ; les tensions avec Taïwan ; les lois anti-démocratiques et homophobes récentes en Chine ; et probablement bien d’autres facteurs.

Mais d’un autre côté, la Chine est à la fois un producteur pour les produits de toutes ces marques, et bien sûr un marché énorme. Et même si certains pays disent diplomatiquement boycotter les jeux, leurs athlètes ont tout de même été envoyés concourir, et ils arboreront leurs drapeaux nationaux, et les logos de marques partenaires.

Par ailleurs, en parlant du marché chinois, la valeur du secteur des sports représentait 1,71 trilliards de Yuan (€230 milliards) en 2015, et a atteint 2,95 trilliards de Yuan (€400 milliards) en 2019. La part de sports d’hiver dans la totalité, à la fois en participation et en audience télévisée, a grandit et pris une part importante. Les marques chinoises ont vu les derniers rapports mentionnant que les jeux d’hiver sont en train de devenir « tendance » et « cool » pour les jeunes chinoises en particulier, et ont augmenté leur dépenses en partenariats de 8,9% pendant la période, entre 2015 et 2019.

Coca-Cola n’a pas prévu de campagne de publicité globale liée au JO. Motus. J’ai tout de même réussi à trouver cette vidéo réalisée par BBDO Shanghai pour Allianz Assurance. Ironiquement, le tournage a eu autant de difficultés que l’histoire racontée dans la pub, vu qu’ils ont lutté pour trouver de la neige, et ont dû aller sur des plateaux si élevés que les acteurs et l’équipe ont eu le mal de l’altitude.

httpss://youtu.be/sthB8MtlybU

Comme l’a dit M. Dipanjan Chatterjee, vice-président et analyste chez Forrester, au magazine de presse spécialisé dans la communication Campaign (traduit de l’anglais à la volée) : « Ce qu’on observe en temps réel est une marche sur un fil tendu très délicat. Ces sponsors des [jeux] Olympiques sont au milieu d’un jeu d’équilibre où il y a trop à perdre en mettant en danger les opportunités avec la Chine, mais ils risquent également d’aliéner les valeurs de leurs audiences à la maison. »

Il dit aussi que ces corporations seraient plus vocales au niveau de principes éthiques, et/ou de boycotts, si la Chine n’était pas aussi importante économiquement. D’autre part les études de Forrester suggèrent que la grogne des consommateurs au niveau de ce genre de valeurs n’a pas tant d’impact sur leurs achats, avec apparemment seulement 18% d’entre eux qui seraient réellement motivés par des achats basé sur des valeurs éthiques.

Je vous avoue que même si c’est fascinant de complexité, je n’envie pas le travail de celles et ceux qui ont dû évaluer si ou comment communiquer leur parteneriat autour des JO cette année, je suis content de me contenter de regarder les athlètes concourir pour cette fois.

Pour ne pas terminer sur une note trop pessimiste, je suis tombé sur un autre article qui cite Alex Bogusky, légendaire co-fondateur de l’agence Crispin Porter et Bogusky aux Etats-Unis (CP+B), et que Adweek avait nommé « Directeur Artistique de la Decennie » en 2009. Plutôt positif, il pense que (encore traduit à la volée) la « bonté remonte vers le haut » (goodness rises), et qu’au moins un PDG d’un sponsor ou une marque partenaire important des JO va publiquement adresser les problèmes de droits de l’homme pendant les JO de Pékin – et peut-être même le faire dans une publicité. Il a ajouté que : « La conscience des consommateurs, et la relation des marques aux annonceurs, a radicalement changé depuis 15 ans. »

Voyons voir… En attendant la cérémonie d’ouverture va commencer, je souhaite tout de même bonne chance et bons jeux à tous les athlètes !

PS : avec tout ce que je jonglait et en essayant de terminer l’article au plus vite, j’ai oublié de mentionner l’autre facteur critique : c’est le nouvel an Chinois cette semaine ! Bien évidemment un événement national important en Chine, et j’imagine de bonne augure pour les athlètes chinois, et probablement pour les marques partenaires en Chine aussi. Gong Xi Fa Cai ! Joyeuse année du Tigre !

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